Histoire des bibliothèques de Petit-Quevilly
par Michel Croguennec, responsable des Archives et du Patrimoine historique, Mairie de Petit-Quevilly
Riche de plusieurs centaines d’ouvrages d’histoire, de médecine, de philosophie ou de religion, la bibliothèque du couvent des Chartreux installé au XVIIe siècle aux Bruyères Saint-Julien demeure la première grande collection de livres connue à Petit-Quevilly. Mais comme toutes les bibliothèques d’établissement religieux, celle-ci est réservée à l’usage unique des moines jusqu’à ce que la Révolution de 1789 ne vienne en disperser les fonds en même temps qu’elle livrait les murs du couvent aux démolisseurs.
Pavillon d'accueil de la Chartreuse Saint Julien - La patrimoine des Communes de la Seine-Maritime. - Flohic ed., 1997
Le phénomène de développement des bibliothèques publiques dans les villes qui s’amorce au XIXe siècle trouve ses premières illustrations à Petit-Quevilly à partir des années 1880. Le souci de donner à la population ouvrière de la commune les moyens de se cultiver en dehors de l’école va alors justifier toutes les initiatives de création de bibliothèques ouvertes à tous.
La bibliothèque populaire
La première bibliothèque publique de Petit-Quevilly est créée en 1884 sous l’impulsion d’un groupe de Quevillais venus de différents milieux sociaux et réunis au sein de la Société de la bibliothèque populaire de Petit-Quevilly.
Comité administratif de la bibliothèque populaire de Petit-Quevilly - Archives municipales de Petit-Quevilly
Le but de cette association présidée par Hippolyte Allain, fabricant de bois cintrés, est de fonder, d’entretenir et d’administrer une bibliothèque pour le prêt d’ouvrages utiles et instructifs aux sociétaires et lecteurs adhérents. Autorisée par arrêté préfectoral en date du 18 juillet 1884, la bibliothèque s’installe dans un local situé 82, route de Caen.
Arrêté préfectoral autorisant la création de la bibliothèque populaire de Petit-Quevilly en 1884 - Archives municipales de Petit-Quevilly
Ses collections, alimentées par des dons de particuliers en nature ou en espèces et des cotisations des sociétaires et des lecteurs, comptent en janvier 1889 556 livres puis 700 un an plus tard. Ceux-ci se composent d’ouvrages scientifiques, philosophiques et moraux, de relations, de voyages et de publications d’un intérêt général. Afin de récolter des fonds pour acquérir de nouveaux livres, un bal est organisé tous les ans en partenariat avec la bibliothèque de Sotteville-lès-Rouen. Pour l’année 1888, 1.149 ouvrages sont prêtés.
Cette première initiative privée de création à Petit-Quevilly d’une bibliothèque dont l’impact auprès de la population reste limitée car payante, est relayée en 1887 par un second projet porté par la municipalité. Celle-ci s’émeut qu’une ville de 10.000 âmes ne soit pas dotée d’un établissement de prêt de livres destinés au plus grand nombre. Situation qui prive, de fait, la population ouvrière de moyens d’instruction en dehors de l’école ce qui l’empêche de développer ses connaissances indispensables à l’essor de son travail et de son industrie. Le projet initié par le maire, Toussaint Ducy, et le directeur des établissements Maletra, Xavier Knieder, connu pour ses actions philanthropiques en faveur de la commune, prévoit d’associer à cette bibliothèque un musée regroupant gravures, plans, modèles, objets se rapportant au commerce et à l’industrie en particulier celle du textile, de la chimie et de la mécanique. Afin d’accueillir ce musée-bibliothèque, un bâtiment de 200 m², conçu par l’architecte Ed. Lecoeur doit être construit rue Emile Maletra à l’arrière de l’école Delphine Gay et financé par la commune.
Le musée-bibliothèque
Archives municipales de Petit-Quevilly
Le 1er octobre 1889, la bibliothèque ouvre ses portes offrant à la population le prêt gratuit de 650 ouvrages. En quelques mois, le nombre de livres double grâce à divers achats et dons en particulier ceux effectués par Xavier Knieder qui offre de nombreux ouvrages sur l’industrie. De son côté, le musée s’enrichit de statues, de tableaux et gravures mais aussi de pièces archéologiques ou ethnologiques comme un masque de guerre et un manteau de pluie canaques. Dans les mois qui suivent son ouverture, la bibliothèque fait état de près de 200 volumes prêtés par semaine.
Coutumes du pays et duché de Normandie [...] . - Rouen: chez A. Viret, 1731 . Considérations philosophiques sur la Révolution française [...] .- Paris: chez l'auteur,
- In-32 . - Réserve générale . - cote 23 - 19 an V - 1797 . - Réserve générale . - cote 4 - 18
Le Nouveau parfait maréchal ou la Connaissance générale universelle du cheval [...] . - Rouen: J. Racinne, 1787. - In-4 . - Réserve générale . - cote 33 - 20
La Sainte Bible [...] . - Rouen: chez Clément Klalassis, 1667 . - In-4 . - Réserve générale . - cote 32 - 1
Si les murs appartiennent à la commune, en revanche, la gestion et la constitution des fonds de la bibliothèque relèvent du conseil d’administration élu parmi les membres du comité du musée-bibliothèque spécialement constitué à cet effet. Cependant, au début des années 1900, ce mode de gestion délégué commence à montrer ses limites. Dans le même temps le décret du 1er juillet 1897 impose la création d’un comité d’inspection et d’achat de livres dans toutes les villes disposant d’une bibliothèque publique municipale. Ce comité d’inspection et d’achat est composé de cinq membres choisi par le maire au sein de l’élite culturelle locale et désigné par le Ministre de l’Instruction Publique. Pour l’Etat, il s’agit là de mieux contrôler les fonds d’ouvrages et leur destination marquant ainsi sa volonté d’encadrer l’essor des bibliothèques en France.
Le 19 novembre 1904, le conseil d’administration de la bibliothèque municipale décide de transférer définitivement la propriété et la gestion des 3.600 ouvrages qui la compose, ainsi que la collection de tableaux du musée, à la Ville de Petit-Quevilly. Seule condition à cette cession définitive, que la commune veille à la gratuité de cette bibliothèque et assure son ouverture régulière au public tout le long de l’année.
Suite à cette décision, le conseil municipal vote le 6 décembre 1905, la fondation d’une bibliothèque populaire communale soumise au contrôle de l’Etat et ayant pour but de procurer aux habitants de la commune les livres nécessaires à leur instruction et à leur délassement. Afin de gérer la conservation et le prêt des livres, un fonctionnaire est désigné par le Maire.
Grâce aux efforts financiers de la ville et aux dons effectués par la Préfecture de la Seine-Inférieure, les fonds de la bibliothèque sont régulièrement enrichis de livres jusqu’à compter, en 1932, 5.346 références.
Catalogue de 1932 des titres proposés par la bibliothèque - Archives municipales de Petit-Quevilly
Cependant, durant la Seconde guerre mondiale, les autorités d’occupation imposent une épuration des collections afin d’en retirer une centaine d’ouvrages jugés germanophobes ou rédigés par des émigrés allemands.
Extraits de la liste allemande "Otto" prescrivant le retrait de certains titres des bibliothèques - Archives municipales de Petit-Quevilly
Dans les années d’après-guerre, le nombre de prêts s’élève en moyenne à 2.500/2.800 ouvrages par an. Mais la situation va progressivement se dégrader et les lecteurs se détourner de la bibliothèque sans doute au bénéfice de la télévision qui fait son apparition dans les foyers quevillais à partir des années 1950-1960.
Archives municipales de Petit-Quevilly
Le temps du renouveau
En 1974, la situation de la bibliothèque municipale est catastrophique. Celle-ci ne compte plus que cinq lecteurs qui ont emprunté 19 livres durant l’année. Si le jeune public peut toujours s’adresser aux bibliothèques de loisirs mises à sa disposition dans les deux maisons de l’enfance de la commune, la municipalité estime qu’une telle situation ne peut plus durer et qu’il y a là un grave retard en termes d’offre éducative et culturelle.
En 1975, la ville procède au recrutement d’un bibliothécaire diplômé, chargé de remettre en état la bibliothèque, qui ne fonctionne plus que de manière épisodique depuis des années, et de la moderniser.
La vétusté des locaux, l’inadaptation aux nouvelles attentes des lecteurs et l’ancienneté des collections d’ouvrages au nombre de 3.132 (une grande partie date des XVIIIe et XIXe siècles) incite la municipalité à concevoir une nouvelle bibliothèque en rapport avec les besoins d’une ville de plus de 22.000 habitants. Le principe de sa création est entériné par le Conseil municipal le 16 mars 1976 et les premières études immédiatement lancées pour déterminer le lieu d’implantation et la forme de la nouvelle bibliothèque.
Plusieurs emplacements et solutions sont envisagés : transformation d’un local situé 61 rue Jean Jaurès, utilisation de la chapelle Saint-Julien, construction d’un nouveau bâtiment… Cependant le manque de moyens financiers ne permet pas de dépasser le stade de l’étude.
L’impossibilité de construire ou d’aménager rapidement une nouvelle bibliothèque contraint la Ville à envisager une solution provisoire originale : le bibliobus.
En 1978, Petit-Quevilly se dote d’un camion-bibliothèque spécialement aménagé pour l’accueil du public qui peut ainsi venir choisir parmi plusieurs centaines d’ouvrages disposés sur des rayonnages. Pour cette bibliothèque itinérante desservant l’ensemble des quartiers de la commune, le succès est immédiat. L’année même de sa mise en circulation, le bibliobus qui a pour slogan « le livre dans la rue : le bibliobus municipal à votre porte » est fréquenté par 1.800 personnes. Dans le même temps, une réserve accueillant plusieurs milliers d’ouvrages et une salle de préparation de 40 m² sont aménagés au centre technique municipal, rue Jacquard, permettant de renouveler le choix des livres proposés aux lecteurs lors des tournées du bibliobus. Si cet outil contribue largement à démocratiser l’accès à la lecture durant les années 1980, son impact reste tout de même faible avec 6% de la population touchée.
Vues du bibliobus de la ville de Petit-Quevilly - Archives municipales de Petit-Quevilly
La bibliothèque François-Truffaut
L’arrivée à la tête de la Ville de François Zimeray suite aux élections municipales de 1989 relance l’idée de l’aménagement d’un bâtiment destiné à l’accueil du public. Le nouveau maire qui veut désenclaver et changer l’image de la ville ambitionne alors de faire de cet équipement « la plus belle bibliothèque de France, la plus moderne… une référence pour les autres villes ». L’étude du projet est confiée aux architectes Catherine Bizouart et François Pin qui se sont illustrés dans le réaménagement du musée de l’Orangerie à Paris.
Le bâtiment d’une surface au sol de 1.100 m² et aux formes résolument modernes, peut accueillir 42.500 ouvrages et 9.000 documents sonores tout en offrant au public, enfant et adulte, différents espaces de lecture, d’écoute, de rencontre et d’exposition. Financé par la Commune, l’Etat, le Conseil Général de Seine-Maritime et le Centre National du Livre, le coût des travaux pour la construction des locaux et leur équipement d’élève à 22.5 millions de francs.
La première pierre de la bibliothèque baptisée du nom de François Truffaut, cinéaste français de la nouvelle vague, est posée le 16 octobre 1992 à côté du théâtre Maxime Gorki.
Le 28 mai 1994, le bâtiment est inauguré et aussitôt livré à la curiosité du public. Réussite sur le plan architectural, la bibliothèque François Truffaut l’est aussi par rapports aux objectifs culturels et éducatifs fixés. Avec 4.500 adhérents en 2010, dont 35 % n’habitent pas la commune, et 270.000 prêts effectués, cet équipement a su se faire adopter de la population quevillaise et s’imposer comme un pôle de loisir et de culture incontournable de l’agglomération rouennaise.
Bibliothèque François-Truffaut en 1994 - Archives municipales de Petit-Quevilly
Bibliothèque François-Truffaut en novembre 2013 © Bruno Maurey